Nouvelle Le tableau- ch 1 une visite chez l'antiquaire

Publié le par Gaëlle Jeanne

– Celui-là, oui celui-là. J’en suis sûre.

– Tu es sûre ? Ok. Alors, on le prend.

Matthieu se tourna vers la vendeuse.

– Vous l’avez entendu, dit-il en montrant Elise émerveillée devant les couleurs du tableau, on le prend.

Il se tourna vers sa femme tandis que la vendeuse approchait son échelle pour décrocher l’œuvre.

– Tu as raison. Il sera parfait au-dessus du grand canapé. Parfait.

 

Matthieu déposa précautionneusement le cadre doré sur le tapis de l’entrée du magasin et sortit sa carte bleue.

– C’est une belle acquisition que vous faites-là, lui fit remarquer une collègue qui venait d’arriver à l’accueil.

– Oui, et nous ne l’aurons pas gardé très longtemps accroché. Il y a quoi… Deux jours qu’il est là ? Remarqua la vendeuse.

– Oui, deux jours. Je l’ai retrouvé Jeudi dans les réserves. Il était bien emballé. Mais vous savez, nous ne sortons pas forcément tout ce que l’on a d’un coup, sinon toutes les belles pièces partiraient et nous ne trouverions personne pour acheter celles qui ont l’air un peu moins préservées…

Matthieu sourit en hochant de la tête.

Elise et lui venaient souvent chez Schmidt depuis qu’ils avaient aménagé en ville. C’était un magasin un peu en dehors de tout qui ne payait pas de mine, mais l’intérieur recélait des trésors d’antiquité.

Il l’avait aperçu la première fois en se rendant au travail. De suite, il avait pensé que cela pouvait plaire à Elise. Elle était une absolue inconditionnelle des vieilleries en tout genre et lui, savait apprécier la valeur et les lignes des pièces anciennes.

Au départ, ils n’étaient pas forcément venus pour acheter quoi que ce soit mais plutôt pour chiner et repérer des meubles en comparant leurs goûts. Elise avait amené avec elle, deux reproductions qu’elle aurait eues plaisir à contempler dans le salon : Impression, soleil levant de Monet et La grande vague de Kanagawa de Hokusai. L’une comme l’autre des œuvres ne demandaient pas forcément un cadre de belle facture mais Matthieu avait déjà installé dans le salon deux canapés de style baroque et ottoman, quatre chaises médaillons Louis XVI, un fauteuil rouge Louis XIV et une bibliothèque en bois de l’époque napoléonienne.

– Ça fera donc cent vingt-cinq euros, c’est bien ça ?

Elise n’avait pas osé donner son avis bien qu’elle en su bien plus long sur la peinture que Matthieu. Elle ne comprenait pas très bien la langue et ne voulait pas gâcher à Matthieu le plaisir de négocier le prix en étalant sa science innée de la rhétorique.

Le prix de départ avait été bien plus élevé mais l’assurance et les petits yeux rieurs de Matthieu avaient eu raison de la vendeuse qui leur avait accordé un geste somme toute bien généreux dans l’espoir de les revoir très bientôt dans son magasin.

 

Dans la voiture, Elise ne put s’empêcher de jeter un coup d’œil à chaque tournant vers les sièges arrières. Le tableau avait été soigneusement déposé et calé avec les ceintures latérales mais quand bien même il aurait été transporté par des professionnels, elle aurait été tentée de se retourner pour vérifier qu’il était intact.

– Tu roules un peu vite non ? Fit-t-elle remarquer alors qu’ils entraient dans une petite rue bordée de voitures en file indienne des deux côtés.

– J’ai mon permis non ?

– Mon grand-père aussi a le permis et ça ne l’a pas empêcher de monter aux arbres à chaque fois que l’occasion se présentait.

Matthieu laissa échapper un rire.

– C’est vrai mais ton grand-père n’était pas allemand. C’est dans nos veines la conduite. On naît pratiquement au volant d’une voiture. D’ailleurs il avait quoi comme voiture ton grand-père, une Renault ?

– J’en sais rien. J’imagine qu’à force de conduire comme ça, il a dû en changer assez souvent…

En arrivant devant le parking de l’immeuble, elle lui indiqua une place de laquelle ils n’auraient pas à manœuvrer l’œuvre trop longtemps pour la sortir.

Le tableau était plus long que haut mais le cadre aux motifs fleurs de lisés dorés comportaient plusieurs angles obtus qu’il aurait été dommages d’abîmer.

 

– Là, attends avant de le poser par terre, il vaut mieux qu’il ne repose pas sur une surface dure. Ça pourrait endommager le bois.

Elle prit une couverte en plaid et la déposa au sol sous le tableau.

– Voilà, c’est parfait. Attends, tu veux pas que je le mette sur le mur pour vois ce que ça donne ? Demanda Matthieu en réajustant sa prise.

– Si, tu as raison. Vas-y, mets-le là. Un peu plus haut… Encore… Voilà ! Là, c’est pas mal. Tu veux voir ?

– Et comment…

Elise retira ses chaussures, monta sur le canapé et posa les deux mains sur deux angles opposés du cadre.

– C’est bon, je le tiens, vas-y voir.

Matthieu hésita avant de lâcher prise mais descendit finalement du canapé pour prendre plus de recul.

– Parfait, vraiment. C’est juste parfait.

– Super, aide-moi à le redescendre.

Il déposa le tableau sur le plaid et sortit son téléphone.

– Tu crois que c’est un peintre connu ? J’arrive pas à déchiffrer la signature en bas.

Elise s’installa à côté de lui devant le tableau en sortant son propre téléphone.

– Je sais pas. Il faut chercher. Ghabe ? Giabe ? Ghame ? C’est pas évident. Peut-être qu’en marquant « paysagiste allemand » sur internet, on trouvera le tableau…

Elle lança l’application google et tapa german landscape painting dans la barre de recherche, puis image. Plusieurs œuvres de paysagistes apparurent mais rien qui ne ressemblait à leur tableau.

Elle leva les yeux pour regarder les détails. Une maison à colombage, des fermières devant le lac, des oiseaux… Peut-être bien des canards ou des oies… Et à gauche, le clocher octogonal d’une église et un grand chêne.

Elle regarda à nouveaux les images avant de passer à la page suivante.

A côté d’elle Matthieu semblait captivé par la propre lumière de son écran.

– Je trouve pas, dit-elle après avoir parcouru une dizaine de pages internet. Qu’est-ce que tu fais ?

– Je sais qu’il y a une app qui scanne les images et te dit ce que c’est… J’avais ça sur l’ancien mais je la retrouve pas là.

– C’est pratique ! Franchement, y’a des applications pour tout maintenant.

– Yep.

Elle continua à taper les premières lettres du nom du peintre qu’elle pensait avoir déchiffré sur son moteur de recherche, mais rien ne sortit.

– Ahah ! Ça y est je l’ai !

– Quoi ?

– L’application. Attends, pousses-toi un peu que je sois bien en face.

Il lança le scan de l’œuvre mais la barre de progression s’arrêta au milieu du tableau et lança des propositions de rattachement qui n’avait pas grand-chose à voir avec leur tableau.

– Merde, il scanne pas le tout. Attends, si je m’approche comme ça…

Il s’avança pour n’avoir dans le cadre que la maison à colombage et les fermières au travail devant le lac et lança à nouveau le scan.

Une fois de plus, la barre s’arrêta au milieu de l’image et fit des propositions de paysages sans réelle relation.

– Mm, se renfrogna Matthieu. C’est pas vraiment au point tout ça. Et si je scanne que le nom du peintre ?

Il approcha le téléphone un peu plus pour rendre l’image plus nette et pressa son index sur l’écran. Cette fois, la barre de progression avança un peu plus loin mais elle s’arrêta au deux tiers pour lancer ses propositions.

Toutes les images de rattachement proposées représentaient l’espace et les étoiles.

– Bon, conclut Elise en levant les sourcils. Je crois qu’on va tenter autre chose hein ?

Matthieu pressa son doigt sur la petite image de l’application et la fit glisser dans la poubelle en bas de l’écran.

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